L’allaitement, bien que souvent présenté comme la méthode idéale pour nourrir les nourrissons, demeure un sujet complexe en France, influencé par une multitude de facteurs sociaux, culturels et économiques. Les représentations sociales de l’allaitement oscillent entre tradition et modernité, suscitant des débats sur les bénéfices et les défis qu’il implique.
L’allaitement est un enjeu majeur de santé publique. Promouvoir cette pratique peut contribuer à réduire les inégalités en matière de santé, améliorer la santé infantile et maternelle et jouer un rôle sur le lien mère-enfant. Cependant, les informations transmises aux mères et les conditions environnementales dans lesquelles elles évoluent influencent la façon dont la pratique est perçue et adoptée.
Depuis 2018, l’Assemblée mondiale de la Santé a approuvé la Semaine mondiale de l’allaitement maternel en tant que stratégie importante de promotion de la santé. Elle vise à promouvoir les environnements favorables qui aident les femmes à allaiter – y compris le soutien dans la communauté et sur le lieu de travail, avec des protections adéquates prévues dans les politiques et les lois des pays – ainsi que le partage d’informations sur les avantages et les stratégies de l’allaitement.
Cette année, la Semaine Mondiale de l’Allaitement aura lieu du 1er au 7 août 2024. Cet article explore les enjeux de santé publique et propose un état des lieux des représentations sociales liées à l’allaitement.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et l’UNICEF recommandent un allaitement exclusif pendant les six premiers mois de la vie, suivi de la poursuite de l’allaitement avec des aliments complémentaires jusqu’à deux ans ou plus.
Ces recommandations sont soutenues par le Ministere de la Santé et de la Prévention en France, qui souligne l’importance de l’allaitement pour la santé des nourrissons et des mères.
Ces recommandations s’expliquent par les différentes données recueillies sur la santé des enfants et des mères, tant sur un plan biologique que psychoaffectif. Le lait maternel contient des anticorps et d’autres composants qui permettent de renforcer le système immunitaire des nourrissons. Selon un rapport de l’Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale (INSERM), l’allaitement exclusif réduit le risque d’infections gastro-intestinales et respiratoires, de surpoids, de diabète de type 2 et de certaines maladies chroniques chez l’enfant. Pour les mères, l’allaitement diminue le risque de cancer du sein et de l’ovaire, ainsi que les maladies cardiovasculaires.
Mais les bienfaits de l’allaitement vont au-delà des aspects physiques. L’allaitement favorise un lien fort entre la mère et l’enfant. Selon une étude publiée dans la revue Pediatrics, l’allaitement est associé à une meilleure réponse au stress chez les nourrissons et une réduction des comportements d’attachement insécures. Ce lien est renforcé par les interactions rapprochées et le contact peau à peau, qui stimulent la libération d’ocytocine, l’hormone de l’attachement.
Enfin, d’un point de vue psychologique, l’allaitement peut contribuer au bien-être maternel. Une recherche de l’Université de Warwick montre que les mères qui allaitent ont des niveaux inférieurs de dépression post-partum comparativement à celles qui n’allaitent pas. L’étude suggère que l’ocytocine libérée pendant l’allaitement joue un rôle crucial dans la réduction de l’anxiété et l’amélioration de l’humeur.
En France, il existe une valorisation croissante de l’allaitement maternel, soutenue par des campagnes de santé publique et des recommandations médicales. Selon Santé Publique France, en 2020, environ 68% des mères ont initié l’allaitement à la naissance, bien que ce taux chute à environ 19% à 6 mois. Ce chiffre montre un besoin d’efforts soutenus pour prolonger la durée de l’allaitement.
Les bénéfices de l’allaitement maternel sont largement promus par des campagnes de sensibilisation. Le Programme National Nutrition Santé (PNNS) encourage l’allaitement et inclut des objectifs pour augmenter les taux de mères allaitantes en France, en proposant notamment :
Ces recommandations sont conçues pour promouvoir une culture favorable à l’allaitement et offrir aux mères le soutien nécessaire afin d’allaiter aussi longtemps qu’elles le souhaitent.
Les médias et les réseaux sociaux jouent également un rôle crucial en normalisant et en célébrant l’allaitement maternel.
Des campagnes comme celles de l’UNICEF ou de la Leche League mettent en avant des images positives de l’allaitement, contribuant à changer les perceptions et à encourager les mères à allaiter. Des réseaux de soutien, parmi lesquels la Leche League France et des consultations en lactation sont disponibles pour aider les mères.
Le Plan National de Développement de l’Allaitement Maternel (PNDAM) prévoit la formation des professionnels de santé pour mieux soutenir les mères allaitantes. Cette initiative vise à améliorer les compétences des professionnels en matière de techniques d’allaitement et de gestion des problèmes courants (par exemple : douleurs, engorgement, lactation insuffisante ou reflux gastro-œsophagien chez le nourrisson).
La législation française soutient l’allaitement maternel. Le congé maternité de 16 semaines, extensible à 26 semaines pour le troisième enfant, permet aux mères de passer plus de temps avec leur nouveau-né, facilitant ainsi l’allaitement.
D’autre part, certaines entreprises offrent des aménagements du temps de travail et des espaces dédiés à l’allaitement, tels que des salles de lactation, ce qui aide les mères à concilier travail et allaitement.
Malgré les dispositifs mis en place et les incitations, plusieurs représentations sociales peuvent freiner la pratique de l’allaitement en France.
La sexualisation du sein féminin dans la culture occidentale peut rendre certaines mères réticentes à allaiter en public, par crainte du jugement ou de l’embarras. Selon une enquête de l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) de 2017, près de 30% des femmes françaises déclarent se sentir mal à l’aise d’allaiter en public. Cette perception peut limiter la pratique de l’allaitement, notamment dans les espaces publics.
Historiquement, les perceptions de l’allaitement en France ont été marquées par des jugements contradictoires. Ainsi, aux 18ème et 19ème siècles, les femmes de la haute société déléguaient souvent l’allaitement aux nourrices, une pratique qui a continué à influencer les représentations sociales jusqu’à nos jours. En parallèle, l’industrialisation et la commercialisation du lait infantile ont renforcé l’idée que l’allaitement maternel pouvait être remplacé.
La littérature psychanalytique, notamment les travaux de Donald Winnicott et Sigmund Freud, a souvent mis en avant l’importance de la relation mère-enfant dans les premiers mois de vie. Cela a conduit à une valorisation excessive de l’allaitement comme symbole de “bonne maternité”, créant une pression supplémentaire sur les mères. La psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval a souligné que cette pression peut engendrer des sentiments de culpabilité chez les femmes qui ne peuvent ou ne veulent pas allaiter.
Par ailleurs, les mères qui allaitent rapportent souvent une fatigue accrue par rapport à celles qui utilisent des laits infantiles, en raison des fréquentes tétées nocturnes. Kendall-Tackett (2007) souligne que l’allaitement peut, paradoxalement, agir comme facteur de protection contre certaines formes de fatigue en réduisant les risques de dépression post-partum, de stress et en améliorant l’humeur des mères.
La fatigue maternelle représente un frein significatif à l’allaitement, avec des répercussions sur la durée et l’exclusivité de cette pratique. Une étude de Doan et al. (2014) révèle que les mères qui éprouvent une fatigue importante sont moins susceptibles de continuer à allaiter exclusivement au-delà des premiers mois post-partum : seulement 29% poursuivent l’allaitement exclusif jusqu’à six mois contre 50% chez celles qui rapportent une fatigue modérée. La fatigue peut également affecter la production de lait et la capacité de la mère à répondre aux besoins nutritionnels de leur enfant (Kendall-Tackett, 2007).
La qualité perçue du sommeil joue un rôle important dans la sensation de fatigue. L’étude de Doan et al. (2007) démontre que les mères qui allaitent exclusivement tendent à avoir des épisodes de sommeil plus longs et un sommeil de meilleure qualité que celles qui utilisent des biberons, malgré des réveils plus fréquents. Montgomery-Downs et al. (2010), quant à eux, ont observé que les mères qui se perçoivent comme ayant un bon sommeil rapportent moins de fatigue, même si leur durée totale de sommeil est similaire à celle des mères percevant leur sommeil comme mauvais.
Il apparaît donc essentiel d’accompagner les mères à la mise en place de stratégies pour améliorer la qualité de sommeil, telles que le partage des responsabilités nocturnes, l’établissement de routines de sommeil pour le bébé et la recherche de soutien familial et social.
Une étude de la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (DREES) indique que 45 % des mères arrêtent d’allaiter en raison de la reprise du travail ou d’un manque de soutien. Il existe également une pression sociale contradictoire : les mères qui n’allaitent pas ou qui allaitent trop longtemps peuvent être jugées sévèrement. Une enquête de l’INSEE montre que 30 % des femmes se sentent jugées si elles n’allaitent pas, tandis que celles qui allaitent plus de six mois sont parfois perçues comme excessives.
Le manque d’installations pour allaiter ou tirer son lait dans les lieux publics et sur le lieu de travail est un frein significatif. Une enquête du Centre d’Information sur l’Allaitement Maternel (CIAM) montre que seulement 20 % des entreprises françaises offrent des espaces dédiés à l’allaitement ou au tirage du lait. La reprise du travail est un obstacle majeur : une étude du PNNS révèle que les taux d’allaitement chutent drastiquement après la fin du congé maternité.
La pression sociale pour un retour rapide au travail constitue un autre obstacle important à l’allaitement prolongé. Bien que la législation française permette un congé maternité de 16 semaines, environ 70% des mères reprennent le travail avant que leur bébé n’atteigne six mois (étude DREES en 2020). Les attentes professionnelles et les contraintes liées à la reprise du travail peuvent décourager les mères à prolonger leur allaitement au-delà des premiers mois. Le manque de structures d’accueil et d’aménagements spécifiques dans les entreprises pour les femmes allaitantes reste une barrière significative.
Le manque de soutien pratique et émotionnel de la part de l’entourage et des professionnels de santé peut également entraver l’allaitement. Une étude menée par Santé Publique France en 2016 montre que 40% des mères qui arrêtent l’allaitement avant six mois évoquent le manque de soutien comme une des raisons principales. Les nouvelles mères peuvent se sentir isolées ou mal informées, ce qui peut les conduire à abandonner l’allaitement plus tôt qu’elles ne le souhaiteraient.
Il est essentiel de soutenir les efforts de sensibilisation et de soutien pour maximiser les bénéfices de l’allaitement pour la mère et l’enfant. Les campagnes de promotion de l’allaitement doivent continuer à aborder les freins sociaux et culturels, tout en renforçant le soutien institutionnel et professionnel.
Pour surmonter les obstacles existants, il est essentiel que les professionnels de santé adoptent une approche respectueuse et informative, fournissant des informations éclairées sur les bénéfices de l’allaitement tout en respectant le choix individuel de chaque femme. Il est également primordial de continuer à lutter contre les préjugés sociaux et à promouvoir des environnements favorables à l’allaitement dans les lieux publics et sur les lieux de travail. En encourageant un dialogue ouvert et en sensibilisant le public, nous pouvons contribuer à faire de l’allaitement maternel une norme socialement acceptée et soutenue en France.
La Semaine Mondiale de l’Allaitement en 2024 offre ainsi une opportunité précieuse pour intensifier ces efforts, promouvoir une culture de soutien à l’allaitement et créer un environnement propice où chaque mère peut faire un choix éclairé et bénéfique pour la santé de son enfant.
Le CODES 83 réalise des ateliers avec des groupe de parents en crèche sur différentes thématiques et notamment sur l’allaitement dans le cadre de deux projets :
Promouvoir un programme d’éducation pour la santé pour les 3 – 6 ans
Le Comité Départemental d’Éducation pour la Santé du Var (CODES 83), association de loi 1901, est membre de l’IREPS PACA.
©CODES 83 – Comité Départemental d’Éducation pour la Santé du Var
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